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Onze idées reçues sur les langues régionales

Des dizaines de milliers de défenseurs des langues régionales ont manifesté ce samedi dans de nombreuses villes de France. L’occasion de revenir sur onze poncifs collés aux basques des langues régionales.

Quimper, Toulouse, Strasbourg, Bayonne, Ajaccio, Lille, Saint-Quentin, Poitiers, Annecy… Les défenseurs des langues régionales manifestent ce samedi dans plusieurs villes de France. Leurs revendications? Que la loi promise en 2008 par la ministre de la culture de l’époque, Christine Albanel voie vraiment le jour, avec des mesures concrètes dans l’enseignement, les médias ou la culture. Et que la France ratifie la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui consacre “le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale dans la vie privée et publique”. Une ratification qui, depuis sa censure par le Conseil constitutionnel suppose une modification de la Constitution.

Sujet aussi passionnel que mal connu en France, les langues régionales sont l’objet de nombreux a priori. Voici quelques idées reçues qui circulent à leur sujet.

1. Plus personne ne les parle

FAUX On confond parfois régression et disparition. Selon l’Insee, environ 3,5 millions de personnes utilisent régulièrement une langue régionale. Le problème est que la transmission se fait de plus en plus mal. Avant 1930, une personne sur quatre parlait une langue régionale avec ses parents. Une proportion tombée à… 3 % dans les années 1980 et 1990. De surcroît, elles sont surtout pratiquées par les plus de 50 ans. Elles suscitent toutefois de plus en plus d’intérêt chez les jeunes.

2. Elles n’ont pas un grand intérêt

FAUX. Comme le rappelle la linguiste Henriette Walter dans son excellent ouvrage Aventures et mésaventures des langues de France (Editions Honoré Champion, 2012), “le basque est l’une des langues les plus anciennes d’Europe”, “le breton est une langue celtique”, qui nous rattache à notre passé gaulois. Quant au peu connu francique lorrain, encore en usage en Moselle, il est l’idiome le plus proche de la langue que parlait Clovis.

La plupart des langues régionales parlées sur le territoire français sont issues du latin. C’est le cas non seulement des langues d’oc, au sud, mais aussi des langues d’oïl, au nord, ou encore du francoprovençal, du catalan et du corse.

Mais la France possède aussi une langue celtique, le breton, trois langues germaniques (l’alsacien, le flamand et le francique lorrain – ou platt), une langue non indo-européenne: le basque.

Au total, on compte ainsi en métropole une vingtaine de langues régionales. Il est difficile de donner un chiffre précis, car un débat existe pour savoir si les langues d’oc – le provençal, le languedocien, l’auvergnat, etc – forment une seule langue, qu’on appellerait l’occitan, ou plusieurs. Henriette Walter estime par exemple que le gascon, “qui se différencie très nettement des autres langues d’oc”, doit être considérée comme “une langue à part”.

3. Le français est supérieur aux langues régionales

FAUX. Linguistiquement, le français est, au départ, une simple langue d’oïl, cousine du normand ou du champenois. Il est devenu notre langue nationale tout simplement parce c’était la langue du pouvoir. Pour le dire d’une formule, le français est une langue régionale qui a réussi ! “Le français était au départ un dialecte comme les autres, mais il était celui du roi, confirme le linguiste Claude Hagège… C’est par volonté politique, et non en fonction de ses qualités linguistiques, qu’il a été imposé au pays. Les langues régionales, poursuit-il, possèdent une richesse au moins comparable, sinon supérieure, au français. Ainsi, en poitevin, subsiste le genre neutre, en plus du masculin et du féminin. Et en gascon, l’imparfait du subjonctif continue d’être pratiqué, même à l’oral.”

Le mouvement d’unification linguistique du pays s’est accompagné de ce qu’il faut bien appeler une propagande. Pour asseoir “sa” langue, le français, l’Etat a longtemps présenté comme de vulgaires patois sans intérêt des langues comme le corse, le breton ou le béarnais. Cette propagande a d’autant mieux réussi que rares sont les Français à disposer de connaissances sur les langues régionales – il est vrai que l’on a rarement cherché à leur en donner. Même les locuteurs se sont peu à peu persuadés de leur infériorité! Jusqu’à les présenter eux-mêmes comme des “patois”, définis ainsi par le Petit Robert : “parler local, dialecte employé par une population généralement peu nombreuse, souvent rurale, et dont la culture, le niveau de civilisation sont jugés comme inférieurs à ceux du milieu environnant.”

Ce qui est vrai, bien sûr, c’est que la plupart des grands auteurs nés sur le territoire français se sont exprimés en français, puisque c’était la seule langue enseignée et valorisée. Même si les parlers d’oc, en particulier, ont toujours disposé d’une littérature assez riche. Le poète provençal Frédéric Mistral a même été couronné par le prix Nobel de littérature (1904).

4. Elles sont condamnées par la mondialisation

PAS SÛR. Les langues régionales peuvent aussi présenter un intérêt économique. Les Alsaciens commercent plus facilement avec les Allemands, les Basques et les Catalans avec leurs cousins situés en Espagne. Et, selon certains chercheurs, le succès de l’économie bretonne repose en partie sur la capacité de cette région à défendre et à valoriser son identité locale.

Par ailleurs, les langues régionales représentent en soi une richesse culturelle souvent sous-évaluée. Le breton nous rattache ainsi à notre passé gaulois. Les langues régionales possèdent par ailleurs une riche littérature puisque la plupart d’entre elles sont des langues écrites, ce qui n’est le cas que d’environ 200 des 6700 langues recensées dans le monde.

Plus fondamentalement encore, une langue ne sert pas seulement à communiquer. Elle exprime aussi un rapport au monde, une manière de penser. A ce titre, les langues régionales représentent “l’une des grandes richesses culturelles de la France”, selon Claude Hagège. Pour le comprendre, il suffit de se demander comment les Français réagiraient si, dans quelques décennies, sous prétexte “d’efficacité”, l’Europe interdisait de transmettre la langue française à l’école de la République et y imposait l’anglais comme langue unique.

5. Les enseigner à l’école est inutile: mieux vaut apprendre l’anglais

FAUX. Les deux démarches ne sont pas contradictoires. Tous les linguistes le disent: connaître, dès son jeune âge, une deuxième langue permet d’en apprendre plus facilement d’autres ensuite. De plus, il existe des passerelles évidentes entre langues régionales et langues étrangères: un locuteur alsacien apprendra très facilement l’allemand; un Flamand le néerlandais, un Corse l’italien, etc.

6. Elles sont désormais reconnues en France

PAS VRAIMENT. Il est exact qu’elles ne sont plus combattues comme elles l’ont été après la Révolution française, lorsque l’abbé Grégoire rédigeait son rapport sur “la nécessité et les moyens d’anéantir les patois”. Il est exact aussi qu’à l’école, l’enfant surpris en train de parler corse ou breton ne subit plus de réprimande, comme ce fut le cas sous la IIIe République. Certaines mesures positives ont même été prises en leur faveur. Elles sont ainsi enseignées quelques heures par semaine dans certaines classes, voire en immersion complète dans des écoles associatives (Ikastolas au Pays basque, Diwan en Bretagne, etc). Elles bénéficient de (rares) créneaux horaires à la radio et à la télévision et elles ont même fait leur apparition en 2008 dans la Constitution au titre (Article 75-1 : “Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France”)

Mais, comme on le constate dans la pratique, cette politique est largement insuffisante si l’on souhaite vraiment les sauver. Il suffit d’observer la situation du catalan, florissant en Espagne et moribond en France. Il est vrai qu’au sud de la frontière, son usage est imposé (et exclusif) sur les panneaux de signalisation routière (sauf sur les autoroutes), à l’université (pour la majorité des cours) et sur certaines chaînes de télévision. Des mesures qui feraient sans doute sursauter chez nous.

7. Si les langues régionales régressent, c’est parce que plus personne n’a envie de les parler

VRAI ET FAUX. Il est incontestable que de nombreux parents ont choisi volontairement de ne plus parler gascon ou flamand à leurs enfants. Mais pourquoi ? Parce qu’ils pensaient ainsi favoriser leur réussite scolaire et sociale, seul le français étant enseigné et exigé pour trouver un emploi. Il en aurait été différemment s’ils avaient été en usage dans les administrations et les entreprises.

Car le facteur économique joue un rôle considérable dans la dynamique des langues. Des peuples ont souvent changé d’idiome pour cette seule raison, comme le montre cet exemple donné par l’université de Laval, au Québec. “L’un des cas les plus connus de mutations linguistiques successives concerne celui des Kamasins. Ce peuple de Sibérie a changé de langue trois fois en 50 ans! En effet, les Kamasins parlaient originellement une langue samoyède (le kamasin); ils ont commencé à parler le turc vers 1840 et ne parlaient plus que cette langue 20 ans plus tard; à partir de 1890, les Kamasins avaient déjà abandonné le turc pour le russe.”

8. Dans un pays, il ne peut y avoir qu’une seule langue

FAUX. Il existe environ 6800 langues dans le monde, sachant qu’il y a 193 membres à l’ONU. On compte donc en moyenne 35 langues par Etat. Une cinquantaine de ces Etats sont officiellement multilingues, comme la Belgique ou l’Espagne.

Ce qui est vrai, c’est que les Etats tendent à adopter une langue unique, pour des raisons d’efficacité économique et d’unité politique. Quant aux pays qui pratiquent le multilinguisme, ils le font rarement pour des raisons philosophiques, mais pour préserver la paix sociale: le Québec a arraché des mesures en faveur du français car le Canada craignait la partition du pays.

9. La disparition des langues régionales est inéluctable

VRAI ET FAUX. Il existe une tendance incontestable au déclin des langues dans le monde. Selon Claude Hagège, il en existait environ 10 000 à la fin du Moyen Âge (avant la colonisation européenne). A l’heure actuelle, l’humanité en perd environ une tous les quinze jours.

Mais ce mouvement connaît des exceptions notables. Les langues régionales ne sont pas menacées en Suisse pour la bonne et simple raison que l’allemand, le français, l’italien et le romanche sont toutes considérées comme des langues… nationales ! Le catalan, on l’a dit, mais aussi le basque se portent beaucoup mieux en Espagne qu’en France. Leur situation dépend donc pour l’essentiel des mesures dont elles bénéficient dans chaque pays.

10. Les langues régionales alimentent les sentiments indépendantistes

OUI ET NON. Oui, dans la mesure où la langue est un attribut essentiel de l’identité. C’est parce que la France est un pays composite, réunissant des Basques et des Alsaciens, des Corses et des Flamands, des Auvergnats et des Normands, qu’elle s’est dotée d’un Etat fort et qu’elle a toujours cherché à effacer les particularismes régionaux. A l’inverse, assimiler tous les amoureux des langues régionales à des poseurs de bombes serait aller un peu vite en besogne. Nombre d’entre eux souhaitent simplement qu’elles ne se perdent pas. Des pays comme la Suisse ou la Finlande (où réside une importante minorité suèdophone) montrent que le multilinguisme ne s’oppose pas toujours à l’unité nationale.

11. La défense des langues régionales oppose la droite et la gauche

FAUX. Des parlementaires des deux bords travaillent ensemble sur cette question à l’Assemblée nationale et au Sénat. Et elles comptent dans chaque camp des partisans et des adversaires.

A gauche, le très jacobin Jean-Luc Mélenchon ne les apprécie guère tandis que François Hollande souhaite la ratification de la charte européenne des langues régionales.

A droite, le député UMP Marc Le Fur les défend avec ferveur, alors que Nicolas Sarkozy a déclaré : “Quand on aime la France, on ne propose pas de ratifier la charte des langues régionales”. Leurs meilleurs défenseurs se trouvent chez les écologistes (qui passent régulièrement des alliances avec les partis régionalistes) et chez François Bayrou, lui-même béarnophone.
Source : L’Express

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